«On ne peut continuer plus longtemps à se voiler la face.

Il existe en vente libre des mangas où l'on peut observer des pratiques contre nature entre hommes.

Ces livres dégénérés à la portée de nos enfants montrent des garçons qui se sucent les lèvres, qui s'enfoncent la langue dans la bouche, des garçons qui se postillonnent sur la glotte, qui se... Hum. Pardon.

Oui, donc, le yaoi, qui, selon certains serait l'acronyme des mots japonais «Yama nashi, ochi nashi, imi nashi» c'est-à-dire en gros «pas cap' de faire une histoire», est une sous-catégorie des mangas shôjo destinés aux filles, et certains puristes le distinguent du june et du shônen-ai qui seraient moins explicites.

Ludwig II, comme son nom l'indique, raconte les amours bavaroises du roi jadis débauché par Wagner, Visconti et Syberberg à des fins esthétiques.

Qu'on se rassure, même si Ludwig se fait tailler une pipe par le prince Paul von Thurn und Taxis au bout de 35 pages puis sodomise Richard Hornig à la cinquantième après l'avoir menotté au radiateur, on ne voit pas ici le plus petit bout de zézette.

A la place, quelques bougies, énormes et dégoulinantes, traînent au premier plan.

Comme Ludwig est brun, il est le seme dans ses relations, c'est-à-dire l'actif, et tous ses amants sont blonds, car ce sont des uke, ils font la femme, comme disaient nos grands-parents, d'ailleurs ils en ont aussi les fantasmatiques cheveux longs.

Tous sont évidemment des bishônen, sortes d'androgynes surfins dont le physique fait fantasmer les jeunes filles en fleur.

Car le yaoi n'est pas d'abord destiné à un public gay, mais à un lectorat féminin.

Ces garçons qui se paluchent entre eux sont un peu l'équivalent des scènes lesbiennes du porno macho (1).

Un petit tour sur les forums Internet montre que les demoiselles apprécient particulièrement les scènes de douche et de bain, tout en trouvant dans ces livres un délicieux petit goût d'interdit ou de «perversion» soft.

Le jugement moral n'est en effet jamais très loin, vu que le public de base du manga industriel brille rarement par son ouverture d'esprit.

Le héros de Ludwig II passe d'ailleurs une bonne partie de son temps à s'autoflageller, car toute cette anormalité, c'est la faute à son «sang corrompu», voyez-vous.

Cependant, dans l'ensemble, il est surtout présenté comme un idéaliste vierge, vivace et beau aujourd'hui ­ une sorte d'hystérique normal, quoi. La dessinatrice You Higuri fait preuve, en outre, de scrupules historiques qui l'honorent (c'est assez pédagogique) et d'un humour pas détestable du tout, en particulier dans le making of qui clôt ce premier tome.

Découvrant que Munich déborde de mugs et autres T-shirts à l'image de Ludwig, Higuri se lamente devant la tâche qui l'attend : «Aarggg, j'savais pas qu'il était aussi célèbre et proche de tous... c'est un peu comme Michael Jackson...»


(1) Si le «yaoi» est populaire au Japon, on ne trouve guère en France que «New York New York» (Panini comics) et «Zetsuai 1989» chez Tonkam, qui vient en outre de lancer la collection «Boy's Love» avec les séries «Fake» et «Kizuna». »